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Espaces de Co-Working : des nouveaux bureaux pour une nouvelle économie

Développement

Commençons par un constat : d’ici à 2020, 40% de la population américaine active travaillera en free-lance1. Cela représentera plus de 60 millions de personnes, rien qu’aux Etats-Unis. D’où vont-ils travailler ? Depuis la maison ? Trop coupés du monde. Depuis un café ? Trop peu de confort et trop de distractions. Depuis un bureau qu’ils loueraient ? Trop peu de contacts avec l’extérieur et trop d’engagements financiers. Le travailleur de demain communique, collabore, recherche, étudie, travaille et paye son loyer différemment. Pour quelle raison son environnement n’évoluerait-il pas avec lui ? Décryptage d’un phénomène qui saisit les centres urbains de la planète les uns après les autres.

Qu’est-ce que le Co-Working ?

Le concept est simple : c’est un espace de travail qui promeut non seulement le partage de l’espace mais aussi celui de la connaissance. Concrètement, vous pouvez louer votre propre bureau (avec vos tiroirs fermés à clé, votre lampe et votre ordinateur) et avoir accès à des espaces et services en commun comme une cuisine, un bar, un espace de détente, des salles de conférences, des imprimantes, un réseau wifi performant, etc. le tout en s’engageant sur une base mensuelle. Les échanges avec les autres occupants se font en partageant un café, en discutant avec son voisin de bureau, en jouant au ping-pong, pendant un évènement ou une conférence organisée au rez-de-chaussée ou même à travers le réseau social du bâtiment. Une équipe de plusieurs collaborateurs peut également louer un espace fermé. Ce nouveau mode de fonctionnement séduit de plus en plus de petites entreprises, de start-ups et de free-lanceurs qui ont l’air d’avoir enfin trouvé une manière agréable d’augmenter leur productivité sans engagements financiers trop importants.

Qui sont ces « free-lanceurs » ?

Avec ce que les experts ont appelé la 4ème révolution industrielle, les tâches répétitives et ingrates sont de plus en plus automatisées, centralisées ou sous-traitées à grande échelle offshore. Cette tendance supprime bien évidemment des emplois, mais elle redéfinit surtout le concept de main d’œuvre. Les entreprises n’ont plus besoin de « process workers » mais cherchent de plus en plus de « knowledge workers ». On ne veut plus de travail à la chaîne, composée de centaines d’employés qui effectuent tous la même tâche répétitive, le tout supervisé par des cadres, qui font eux-mêmes le travail redondant de vérifier. Les métiers qui survivront et ceux qui se créeront ne sont pas ceux basés sur l’application de formules ou de procédures, mais ceux qui se basent sur des qualités comme la connaissance, la créativité et l’initiative – en bref – sur des qualités humaines. Architectes, designers, développeurs informatiques, consultants technologiques, entrepreneurs, sont des métiers qui nécessitent un esprit d’analyse humain pour créer et créer juste. Ce sont exactement ces métiers là qui ont besoin d’un nouveau cadre de travail. Ils veulent rencontrer, collaborer, discuter et apprendre des autres. Les espaces de Co-Working leur permettent d’allier ces objectifs à un cadre de travail sérieux et dynamique.

WeWork, valorisation de 16 milliards USD.

L’entreprise new yorkaise WeWork a bien compris l’opportunité que le Co-Working représentait. Même si elle n’était pas la première dans le secteur, elle a réussi à mettre sur pieds des espaces qui répondent parfaitement aux critères de ces nouveaux travailleurs, et surtout à créer une véritable identité à laquelle ses utilisateurs sont fiers d’être assimilés. Lancée en 2010, l’entreprise vient tout juste d’être valorisée en ce mois de mars 2016, à 16.0 milliards de dollars. En guise de comparaison, c’est une valorisation identique à celle de Snapchat. Certains de leurs espaces comptent sur plus de 2’000 membres sur plus de 10 étages. Son co-fondateur, Adam Neumann, explique à propos de ses sous-locataires : «  Ils ont besoin les uns des autres. Ils se nourrissent mutuellement. Ils veulent appartenir à quelque chose. ». Les espaces de co-working WeWork sont présents dans 14 villes américaines et ont commencé leur extension européenne avec des espaces dans les villes de Londres et d’Amsterdam. L’entreprise a annoncé ouvrir prochainement des centres au Mexique, en Inde, en Corée du Sud, en Chine, à Hong Kong et en Australie.

Le premier pas d’un long chemin

Le chercheur en management Peter Drucker met en parallèle ces « knowledge workers » avec les « manual workers » dont on a révolutionné le métier avec l’industrialisation et le travail à la chaîne de Ford et Taylor. Pour lui : « nous en sommes plus ou moins, en terme de productivité, où nous étions dans les années 1900 avec les travailleurs manuels. ». Les perspectives d’amélioration sont donc encore vastes. Pendant le 20ème siècle, la productivité des travailleurs s’est vue multipliée par à peu près 50 grâce au réagencement des usines. C’est exactement la même démarche que les espaces de co-working commencent à entreprendre.

Qu’en est-il en Suisse ?

Pour Jennifer Schäpper-Uster, présidente de l’Association Suisse de Coworking, la Suisse est un marché encore jeune mais avec un important potentiel. Selon une étude de Deloitte, 28% de la population suisse active travaille aujourd’hui depuis la maison. Elle estime même que 50% des travailleurs suisses pourraient travailler de manière « mobile ». Il y a un an, Jennifer – elle-même à la tête d’un espace de coworking – décide de réunir sous une même ombrelle ses 25 concurrents de l’époque afin de créer une idéologie commune. Une des véritables plus-values de WeWork est l’appartenance à un réseau plus vaste qu’un seul bâtiment. Un atout dont que très peu des espaces de co-working suisses ne pouvaient et ne peuvent pour l’instant se vanter. C’est donc avec la conviction de la nécessité de créer une communauté nationale que Jennifer et ses collègues ont mis sur pieds l’association. Elle estime qu’il existe aujourd’hui dans le pays une septantaine d’établissements. Elle est particulièrement marquée par la forte croissance de la région de Lausanne, mais les espaces les plus développés sont selon elle du côté de Zürich. Elle mentionne par exemple Impact Hub et Citizen Space. Aucune grande marque ne s’est encore imposée sur le marché, mais Jennifer s’attend prochainement à l’arrivée de gros acteurs dans le paysage helvétique. Elle voit 2016 comme une année importante dans cette transition du marché de l’espace de travail.